Le règne de la bêta

L’informatique confirme de plus en plus un vilain travers, celui de la bêta à vie.  Jusqu’ici, quand un logiciel en cours de développement commençait à fonctionner, ne serait-ce que partiellement, il passait en version alpha, à laquelle la majorité des clients n’avaient pas (et ne voulait pas avoir) accès. Puis le débogage progressif aboutissait à plusieurs versions bêta de plus en plus abouties. Enfin, une ou deux « release candidates » étaient finalement soumises pour validation à un échantillon plus ou moins nombreux des utilisateurs impatients. Enfin, la version finale suivait de près.

Maintenant, tout cela semble de plus en plus souvent remplacé par une longue phase bêta qui n’en finit plus. ChatGPT a par exemple mariné plus de deux ans, avant que son éditeur le qualifie enfin de stable. Blizit, un petit service de gestion de tâches en ligne sympathique qui me tente bien, est lui aussi en bêta depuis son premier jour. Et les exemples se multiplient.

En fait, nous devenons tous insidieusement des bêta-testeurs non rémunérés. Nous achetons ou nous louons des applications non terminées, mais facturées quand même au prix fort. Chat GPT, encore lui, prive ses utilisateurs gratuits des nouvelles fonctions à leur apparition. Et ça se comprend. Mais les abonnés, y compris à la version pro à 200$/mois, auront juste un peu moins de limitations, mais avec la même présence de fonctions perfectibles.

Apple va même encore plus loin, et repousse au-delà de la décence les limites de ce procédé détestable. La transcription des messages vocaux en temps réel avait été promise pour IOS 17 ? Il a fallu attendre la 18.1 pour l’obtenir. Mais avec l’IA Apple Intelligence, l’entreprise a oublié tout respect de ses engagements successifs.

IOS 18 distille bien quelques babioles insignifiantes en la matière. Mais la vraie IA, annoncée en septembre 2024, et qui devait arriver en avril 2025, ne pointerait finalement son nez que sur IOS 19, puis finalement qu’en 2026 (comprendre décembre). C’était pourtant l’argument de vente principal de la version des modèles hauts Pro haut de gamme de l’iPhone 15, l’avant-dernière génération à ce jour.

Du point de vue des éditeurs, les bénéfices sont clairs : une mise sur le marché plus rapide, une chasse aux bugs réalisée gracieusement par les clients, et une explication toute trouvée pour le moindre dysfonctionnement : « vous comprenez, cette version est encore en bêta (c’est normal)».

Alors, il est peut-être temps de revoir nos principes d’achat logiciels en gardant cet inconvénient à l’esprit.

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